Septième semaine de confinement

Certes, le temps paraît long. Malgré les techniques modernes de communication, il est difficile de se priver de la présence physique de ses proches et ses amis. Mais cela donne du temps pour regarder autour de soi et s’émerveiller du spectacle que nous offre ce début de printemps ensoleillé, qui fait exploser la végétation. Les fleurs se multiplient dans le jardin.

Nous ne manquons de rien… Nous recevons de Vertessec les produits de la ferme, de Patrick à Saint Estèphe les légumes et les fruits. Médecins et infirmières répondent présents quand nous avons besoin d’eux… ou d’elles. Nos enfants et nos amis ne nous oublient pas.

Pour la communication, nous maintenons le contact, par écran interposé, avec les contrées les plus lointaines. J’ai passé un très bon moment en compagnie du Hong Kong Wine Club et de son président Claudio Salgado, grand nom de l’hôtellerie sud-asiatique, qui animait avec Jean-Charles une belle dégustation.

Visioconférence
Dégustation délocalisée à 12 000 km avec Claudio Salgado.

Par moments, de gros nuages noirs montent du Sud-Ouest et avec eux la menace de la grêle, qui a durement frappé le Libournais il y a quelques jours. Le tonnerre gronde au loin parfois, comme un roulement sourd rythmé par les explosions sèches des canons à grêle de Saint Julien, à quelque kilomètres au sud de chez nous.

Dès que perce un rayon de soleil, je vais me promener sur le plateau de Bages. On y entend littéralement pousser la vigne !

Le cep de vigne a la vie dure.

Le cep de vigne a la vie dure. Il vieillit cependant et fait l’objet de multiples agressions extérieures, comme tout être vivant. Il est la cible de maladies diverses, d’attaques de moisissures variées, de micro-organismes ou d’insectes agressifs.

phylloxera

Sans parler du phylloxéra, puceron vorace, toujours présent depuis plus de 120 ans dans les sols viticoles. Contre ce fléau, le greffage de nos cépages français sur des racines résistantes d’origine américaine reste le seul remède, depuis plus de cent ans.

En termes de longévité, les cépages ne sont pas égaux entre eux. Le plus fragile est le cabernet sauvignon, dont le taux de mortalité est élevé. Il est difficile aujourd’hui d’étendre la vie d’une parcelle de cabernet au-delà de 50 ans, alors que le merlot résistera deux ou trois décennies supplémentaires.

Dès les premières années après la plantation d’une parcelle, quelques plants meurent et disparaissent, qui sont aussitôt remplacés. C’est la « complantation ». Les victimes sont, évidemment, de plus en plus nombreuses au fur et à mesure que passent les années. Aussi longtemps que possible, tant que le taux annuel de disparition reste modéré, la « complantation » permet de concilier production et qualité. Mais il faut un jour, par souci d’homogénéité, cesser de complanter et, quelques années plus tard, se résoudre à l’arrachage, qui sera suivi de la replantation.

La qualité du vin commence dans la vigne.

Les virus de la vigne ne sont pas du type Corona… Ils n’en sont pas moins redoutables.…

Devant chez nous, une belle parcelle du plateau de Bages a été arrachée en 2018. Avant de la replanter, il est nécessaire de faire reposer le sol et de le débarrasser des « nématodes », qui se nourrissent des racines et s’y sont multipliés avec le temps. Ces micro-organismes sont des vecteurs de virus menaçants qui mettent en danger les plantations futures.

Nous avons maintenant abandonné les traitements chimiques ayant pour but de débarrasser le sol de ses hôtes indésirables. Certes, ils sont efficaces. Il repoussent dans les profondeurs les micro-organismes nocifs et réduisent leur population, autorisant ainsi une replantation rapide. Cela permet de gagner du temps et donc, sur le long terme, de la production. Malheureusement, ne discriminant pas entre les bons et les mauvais, l’utilisation de ces produits résulte en un appauvrissement du sol, qu’il faut alors compenser et entraîne des effets secondaires non désirés.

Depuis une vingtaine d’années, nous avons adopté la combinaison d’une attente longue de plusieurs années entre arrachage et replantation, avec les effets d’une végétalisation naturelle intermédiaire. Le temps long décourage le parasite qui ne trouve plus à se nourrir et finit par abandonner la place. Le semis d’un cocktail de plantes soigneusement sélectionnées apporte un bénéfice agronomique et complète l’effet du temps qui passe. Certaines espèces (vesce, avoine, phacélie…) sont « hostiles » aux nématodes. Elles ont un effet répulsif sur les micro-organismes vecteurs de virus. D’autres captent l’azote et contribuent à l’enrichissement du sol par un apport de matière organique naturelle. Nous y ajoutons des fleurs des champs qui, le printemps venu, transforment la parcelle en un magnifique tapis coloré.

Cochylis et Eudémis ne sont pas des déesses de la Grèce antique…

Dans les vignes et dans les chais, le travail se poursuit sans trop de difficultés. Les vignerons ont observé l’apparition de quelques papillons bien connus : Cochylis et Eudémis – ce sont les noms de ces lépidoptères – ne descendent pas du Mont Olympe. Ce sont des ravageurs de la vigne, et les pires qui soient. Ils donnent naissance à de voraces chenilles – le trop célèbre « ver de la grappe » –  qui aime attaquer la fleur en juin et percer les baies des raisins dans le courant de l’été. L’heure de la récolte venue, cela entraîne le développement de la pourriture du fruit, cause majeure de perte de qualité et de volume de la récolte. Il faut se battre.

Aujourd’hui, nous avons abandonné les insecticides et luttons contre ce fléau par la « confusion sexuelle ». Nous devons cette technique au nom insolite à un agronome inventif qui a a imaginé de tromper les papillons mâles en quête de femelles en perturbant leur système hormonal. L’objectif est de limiter la production d’œufs, donc de chenilles. De petites capsules qui diffusent des phéromones « femelles » sont installées dans la vigne, suspendues aux fils de palissage. Une méthode, simple dans son principe, qui a aujourd’hui démontré son efficacité. Pour couvrir 1 ha, il en faut environ 500. Nous utilisons aussi parfois des « puffers », aérosols plus élaborés, qui couvrent une surface plus importante.

Et ça marche !.. Affolés par les affriolantes odeurs arrivant de toutes parts, les papillons mâles cherchent désespérément l’âme sœur… et ne la trouvent pas !

Il nous faut aussi penser à l’organisation des prochaines vendanges. À la veille de la récolte, serons-nous en panne de vendangeurs ? Pourrons-nous cette année faire venir nos fidèles équipes de vendangeurs de la région de Mirandela au nord du Portugal ? Il faut y penser dès maintenant et imaginer des solutions de repli.

Au chai, nous avons terminé la mise en bouteilles de nos seconds vins de la récolte de 2018. La mise principale aura lieu dans quelques semaines.

Jacques Veyrine, chef de l’équipe de maintenance, a installé sur son bureau une imprimante 3D qui fabrique en continu pour les ouvriers du chai, des protections « maison » légères et efficaces…

Sur notre chantier, l’activité a repris.

2020 sera le premier millésime vinifié dans les nouvelles installations techniques de Lynch-Bages.

L’activité a repris, mais au ralenti. Les ouvriers sont équipés de masques et les entreprises ont mis en oeuvre des précautions particulières. La « base de vie » est fermée. Plus personne ne dort sur place et les locaux font régulièrement l’objet d’un grand ménage et d’un nettoyage complet.

On ne sourit plus !

A Bordeaux, c’est le débat…

L’Union des Grands Crus et Bordeaux-Négoce, association des négociants, ont publié aujourd’hui un communiqué conjoint annonçant pour fin mai-début juin une dégustation délocalisée du millésime 2019 dans une dizaine de pays, à l’intention de la presse et des distributeurs locaux. La présentation pourrait être suivie d’une campagne de vente du nouveau millésime. Je crois bien que c’est la première fois que je vois une opération menée main dans la main par les représentants du Commerce et de la Propriété, à laquelle la plupart des Courtiers, articulation nécessaire du système bordelais, apportent leur appui. Ce jour est à marquer d’une pierre blanche.

Dans le même temps, un certain nombre de marchands anglais (pas tous) ont adressé une lettre ouverte collective au Négoce de Bordeaux pour exprimer leurs réserves. Plusieurs acheteurs importants ne s’y sont pas associés. Les signataires demandent un report de la campagne primeur au minimum à septembre, ou de préférence à l’année prochaine. S’ils n’obtiennent pas gain de cause, ils auront au moins fait pression sur les prix de sortie. Ce qui est peut-être leur véritable objectif… On l’a déjà vu dans le passé.

Nous en reparlerons…

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Article rédigé par Jean‑Michel Cazes

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